La guerre contre l'Autre

Dans son œuvre, Plutarque parle souvent de guerre, et les récits de bataille occupent une place non négligeable dans ses biographies. Ainsi, les Vies des Romains qui ont organisé, ou rêvé, une expédition en Orient mettent particulièrement en valeur ce phénomène. Cela n’est pas anodin, car, au moment où les Vies parallèles sont rédigées, l’empereur Trajan prépare son ambitieuse campagne parthique. Bien qu’il ne fasse presque jamais allusion aux événements de son époque, Plutarque, intellectuel grec profondément lié au monde romain et à son élite dirigeante, devait certainement avoir en tête l’expédition de l’Optimus princeps lorsqu’il décrivait la défaite de Crassus, la désastreuse retraite d’Antoine, mais aussi les projets jamais réalisés de Lucullus et de César qui désiraient pousser la guerre au-delà de l’Euphrate.
Cette étude se propose d’analyser les récits des guerres parthiques dans l’œuvre de Plutarque afin de montrer comment cet auteur se sert des traditions littéraires qui l’ont précédé pour donner son avis sur un événement majeur de son temps. Nous observerons d’abord comment il s’appuie sur la notion ambiguë d’ambition pour créer une sorte d’« hypertexte » des campagnes orientales, ayant pour point de départ l’expédition d’Alexandre le Grand contre les Perses. Apogée d’une carrière militaire, la campagne parthique offre aussi l’occasion de réfléchir sur le rapport des commandants aux soldats, un thème central dans le récit des expéditions de Crassus et d’Antoine, où Plutarque met en scène deux personnages antithétiques.
La narration de ces campagnes pousse aussi à se confronter à l’Orient, cet univers qui représente l’Autre par excellence dans le monde gréco-romain. Dans le texte de Plutarque, on peut donc apercevoir en filigrane ce qu’il y avait au-delà de l’Euphrate selon un intellectuel grec de l’époque impériale. La réponse est, bien évidemment, étroitement liée à ce qu’il y avait en deçà de la rivière. Ainsi, nous verrons comment le slogan panhellénique de la lutte pour libérer les Grecs d’Asie est « revitalisé » dans le récit de la campagne orientale de Lucullus. Enfin, nous rencontrerons les Parthes et nous verrons comment Plutarque se sert des éléments de la culture grecque pour tracer un portrait grotesque des barbares.
Bien qu’ils puissent sembler purement rhétoriques, ces thèmes faisaient l’objet d’une réflexion à l’époque de Trajan et on les rencontre ainsi dans le corpus d’autres lettrés de la même période. Plutarque nous montre donc, avec ses récits des campagnes parthiques, qu’il n’est pas qu’un moraliste qui s’intéresse uniquement à des notions philosophiques, mais qu’il est aussi capable de poser un regard aiguisé sur l’histoire et sur son présent.